samedi 17 janvier 2009

La tétrasomie18, un autre aspect de la médecine…

En interrogeant Hédia, une patiente de 40 ans à propos de sa présence dans le coin post-partum du service de néonatologie où les femmes sont censées être accompagnés par des anges à l’apparence humaine, elle me précisa qu’elle avait accouché la veille et qu'on lui a promis de lui ramener son bébé le lendemain. Elle me raconta, notamment, que cet enfant, elle l’attendait depuis belle lurette.
Elle me parlait de son mari, Samir mort « le 47ème jour de ma grossesse » et qui ne verra jamais son fils grandir. Elle me louait son caractère remarquablement calme, sa sensibilité à fleur de peau, son inégalable humour et surtout sa passion pour le club africain.
Elle me confiait qu’elle allait appeler son fils Samir en hommage à cet homme qui a su être patient avec elle à l’heure où les couples ne résistent même pas quelques mois à l’annonce de la stérilité de leur union. « On savait pertinemment que j’étais la responsable, mais il a toujours gardé foi en moi. »
Il avait raison, finalement, même si à ce moment bien précis, il ne pouvait nullement jubiler de sa victoire.
J’essayais tant bien que mal, de la consoler en lui rappelant que son mari serait surement fier d’elle quand il verra Samir Jr. sur les bancs de l’école.
Puis, je rentrais chez moi le cœur déchiré face à la souffrance de cette mère-veuve pour qui les prochaines saisons s’annoncent d’une aridité exemplaire.
Le lendemain, je rejoignais le staff du matin, il y avait toute l’équipe des internes souriants comme il n’est pas permis de le faire quand on a gouté à l’amertume des déclarations de la bonne femme.
Je leur demandais, étonné, ce qui était derrière cette bonne humeur inhabituelle. On me répondait par un « Tetraaaaaaaasomie 18 !!! » qui m’a glacé le sang.
Au fil des minutes, le cauchemar se précisait.
Le chef de service félicitait son interne : « Bravo ! En trente ans de carrière, je n’ai jamais vu de tétrasomie 18 ! Même dans la littérature internationale la tétrasomie 18 n’a jamais été aussi évidente… Vous avez pris des photos au moins ? »
L’interne rétorquait fièrement : « Oui, Mme ! Au début, quand j’ai pris le nouveau-né pour l’examiner, j’ai soupçonné, rien qu’à son faciès qu’on était en présence d’un syndrome polymalformatif grave… J’ai pris beaucoup de clichés… On va les publier… Hihihi »
Je n’en croyais pas mes oreilles.
Une horde de jeunes et de moins jeunes censés militer pour la survie de leurs patients sont en train d’exulter autour d’un cadavre…
Je ne nie pas la légitimité de se réjouir quand on fait avancer un tant soit peu la médecine et qu’on ajoute une part infiniment microscopique soit-elle à la science. Mais on devrait quand-même garder une certaine réserve et ne pas laisser libre court à sa sottise.

Je n’ai plus revu Hédia. A vrai dire je n’ai plus eu le courage de retourner dans le coin du service où on allait lui annoncer la pire nouvelle de sa vie.
L’histoire ne retiendra probablement pas qu’un jour de novembre de l’année 2008, un dénommé Samir Jr s’est éteint et même pas qu’à cet instant là une vie s’est brisée, celle d'une mère qui a tout perdu.
L’histoire racontera d'un ton solennel aux prochaines générations que dans un certain service de néonatologie tunisien, un cas rarissime de tétrasomie 18 a été déclaré et que la littérature médicale internationale s’est enrichie de valeureux clichés de ce monstre qui n’avait d’humain même pas le nombre de chromosomes.

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